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Famille Tshisekedi, Far-west de la mafia minier

Enquête | RDC - Dans l'ex-Katanga, le far-west minier du clan Tshisekedi

Au Lualaba, les noms de plusieurs membres de la famille du président Félix Tshisekedi se murmurent avec insistance dans l'exploitation minière artisanale. Certains sites envahis l'an dernier par des vagues de creuseurs artisanaux sont la propriété du groupe Kazakh Eurasian Resources Group.

 

Au téléphone depuis Dubaï ou Johannesburg, où il séjourne régulièrement, "Monsieur Coco" multiplie menaces et invectives. "Je vais te faire fouetter, imbécile que tu es, lance-t-il à un patron d'une société de sous-traitance minière, stupéfait par la violence de ses propos. Si tu n'arrêtes pas, tu vas fuir la ville, tu vas fuir le Katanga." Dans le business, Coco Muya apprécie peu qu'on lui résiste et le fait savoir, à sa manière, dans cette conversation téléphonique dont Africa Intelligence a pu obtenir l'enregistrement. L'homme d'affaires, natif du Kasaï-Oriental, province d'origine du chef de l'État Félix Tshisekedi, se présente lui-même comme un militant historique du parti présidentiel, l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Il est surtout connu pour être le premier vice-président du club de football kasaïen, le Sa Majesté Sanga Balende, basé à Mbuji-Mayi.

 

Au Lualaba, l'une des quatre provinces issues du démembrement en 2015 de l'ex-Grand Katanga, Coco Muya n'a aucun historique connu dans le secteur minier. Il est pourtant réputé être à la tête des creuseurs artisanaux – il en revendique 40 000 sous la houlette de la coopérative Sokomisumo – qui ont envahi l'an dernier la concession de cuivre et de cobalt dite de Menda Central (permis 467) de Boss Mining. Cette filiale d'Eurasian Resources Group (ERG), un groupe établi au Luxembourg et lié au gouvernement du Kazakhstan, qui détient 40 % de son capital, a vu ses activités suspendues en mai 2023 par la ministre des mines, Antoinette Nsamba. Laquelle accusait l'entreprise de ne pas respecter ses obligations environnementales et d'avoir entraîné "mort d'homme" sur le site. C'est précisément à l'un des sous-traitants de Boss Mining, en l'occurrence la société Kivu Metals Corp (KMC) de l'entrepreneur Christian Bahati, que Coco Muya s'adresse ainsi.

 

"Tu parles à un Tshisekedi en miniature"

 

Ce dernier prétend agir au nom de l'UDPS et de ses "combattants", comme s'appellent les militants radicaux du parti présidentiel. _"Nous, les combattants, on a décidé que cette mine est pour nous, lui dit-il. J'ai combattu aux côtés d'Étienne Tshisekedi (NDLR : père de l'actuel président et figure historique de l'opposition) pendant vingt ans. Fais gaffe : tu parles à un Tshisekedi en miniature."

 

Depuis l'arrivée, mi-2023, des premières vagues de creuseurs artisanaux, Boss Mining et ses sous-traitants – notamment l'entreprise MSL, gérée par un Russe dénommé Sergey Steshenko – tentent de faire valoir leurs droits sur le site. Un dossier d'autant plus sensible que les intrusions des creuseurs sur place se sont accompagnées de la présence répétée de soldats des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) de la XXIIe région militaire, ainsi que d'éléments de la Garde républicaine (GR), malgré l'interdiction faite à ces derniers par l'état-major de pénétrer dans des concessions minières.

 

Alerté de la situation, le PDG d'ERG, l'Allemand Benedikt Sobotka, a plusieurs fois tenté d'intercéder auprès de Félix Tshisekedi, qui s'est montré gêné par l'implication potentielle de membres de sa famille dans ce dossier. Le sujet s'est invité en fin d'année dernière lors d'un conseil de défense présidé par le chef de l'État et auquel était convié le patron de la GR, le général-major Ephraïm Kiriza. À cette occasion, le président a ordonné de déloger les militaires, et plus particulièrement les membres de la GR, qui occupaient alors les concessions appartenant au groupe ERG. Des instructions suivies d'effet dans un premier temps, mais qui n'ont pas empêché le retour fin janvier de militaires sur Menda, où opère Boss Mining, et sur Mashitu, l'un des sites de Comide, une autre filiale d'ERG opérant au Lualaba.

 

Fronts judiciaires

 

Les problèmes d'ERG sont en effet loin de se cantonner à Boss Mining, au sujet duquel le groupe craint que ses titres ne soient pas renouvelés en avril prochain. Ses autres permis détenus par ses filiales congolaises Comide et Swanmines sont également la proie des creuseurs artisanaux protégés par des militaires des FARDC. Au point qu'il est désormais impossible pour les employés du groupe de pénétrer dans certains d'entre eux, au risque d'être menacés ou agressés.

 

Ce blocage a des conséquences financières très concrètes pour ERG. Selon différentes estimations, Boss Mining déplore un manque à gagner estimé entre 2 et 3 millions de dollars par mois. Un montant relativement faible pour cette entreprise dont les permis étaient en phase de relance d'activités. L'hémorragie est par contre beaucoup plus sévère pour Swanmines : entre 250 à 300 millions de dollars l'an dernier. Pour cette filiale, ERG doit aussi composer avec un front judiciaire ouvert devant deux cours arbitrales, à Paris et à Genève, par le groupe afin de préserver la propriété d'un des permis de Swanmines, le numéro 591. Celui-ci est menacé depuis que le tribunal de commerce de Lubumbashi a décidé de le restituer à la société publique Gécamines, considérant qu'ERG ne l'avait jamais suffisamment valorisé (AI du 06/04/23). La partie congolaise, qui réclamait pour cela 50 millions de dollars de dédommagement, a depuis fait monter les enchères. Elle demande désormais 300 millions de dollars.

 

"Maman Fifi" prospère

 

Si la donne est devenue aussi délicate pour ERG, c'est aussi en raison de l'implication présumée de personnalités majeures du pouvoir congolais dans ce dossier. Et en premier lieu de l'actuelle gouverneure du Lualaba, Fifi Masuka Saini, qui est arrivée à la tête de la province, en 2021, grâce à l'appui décisif du président Tshisekedi et de la première dame, Denise Nyakeru Tshisekedi. "Maman Fifi", comme la surnomment avec affection ses soutiens, a détrôné pour cela Richard Muyej, une figure de l'ancien régime de Joseph Kabila, à la suite d'une grave crise politique en 2021. Très proche de Dany Banza, l'homme de Tshisekedi au Katanga, fin connaisseur de l'écosystème politique local, la gouverneure a depuis consolidé son pouvoir en écartant les fidèles de son prédécesseur.

 

Devenue seule maître à bord du Lualaba, "Maman Fifi" a un long passif dans le secteur minier, où elle a prospéré au travers de sa Coopérative minière pour le bien-être des exploitants artisanaux du Katanga (Comibakat). Des activités qui n'ont pas cessé depuis qu'elle est devenue gouverneure, mais seraient, selon elle, désormais coordonnées par ses "enfants et cousins" (AI du 28/07/23). Africa Intelligence a toutefois pu établir que la Comibakat opère précisément sur le site de Menda Central, là où l'activité de Boss Mining a été suspendue. C'est ce qui ressort d'un document signé le 3 octobre 2023 par la division provinciale des mines du Lualaba. Celui-ci fait mention du transport pour le compte de la Comibakat d'une cargaison de 40 tonnes de cuivre depuis la carrière de Menda, jusqu'au site de traitement de la société chinoise MKM, à Kolwezi. Contactée à ce propos, Fifi Masuka n'a pas donné suite à nos sollicitations.

 

Selon plusieurs sources, la Comibakat use d'autres dénominations, notamment celle de la Sokomisumo, pour davantage de discrétion dans ses activités sur place. Or c'est précisément ce nom dont se réclame Coco Muya pour opérer sur le site – avec en appui plusieurs ressortissants libanais dont un certain "Wissam" et un autre dénommé "Mussa" –, laissant supposer que ce dernier agit indirectement pour le compte de la gouverneure. Également contacté par Africa Intelligence, l'intéressé n'était pas joignable pour répondre à nos questions.

 

Discothèque et Guest house

 

Si elle affirme avoir pris ses distances avec la direction de la Comibakat, Fifi Masuka a vu ses affaires fleurir depuis son arrivée en 2021 à la tête de la province. On lui prête une kyrielle de propriétés sur une avenue de Kolwezi, qui vient tout juste d'être asphaltée et qui est protégée par plusieurs guérites, ainsi qu'à Lubumbashi. Dans la capitale provinciale du Haut-Katanga, la gouverneure possède notamment la discothèque Insomnia, qui a ouvert ses portes en fin d'année dernière, et dont la gestion est assurée par la société Mass Investment Group.

 

L'un de ses fils, Jeffrey Masuka Saini, fait tourner pour sa part une imposante guest house sur l'avenue Mama-Yemo. Le même est également directeur de cabinet du ministre provincial de l'économie au Lualaba. Un autre de ses enfants, Kevin Masuka, est réputé quant à lui avoir repris l'exploitation des sites miniers artisanaux – notamment ceux autour du site de Tilwezembe – qui étaient auparavant gérés par Yves Muyej, le fils de l'ancien gouverneur.

 

Fidélité et déférence

 

En échange de son ascension à la tête du gouvernorat, dont elle est quasi assurée de conserver les rênes aux prochaines élections prévues cette année, "Maman Fifi" fait preuve d'une loyauté et d'une déférence à toutes épreuves auprès du président Tshisekedi. Au point de s'effondrer en larmes lorsque le chef de l'État lui avait rendu hommage lors d'une cérémonie publique en août 2023. Ses soutiens lui savent gré d'être parvenue à un certain équilibre entre les intérêts de sa province, les siens et ceux du clan présidentiel. Pour Félix Tshisekedi, cette fidélité est précieuse, tant le Lualaba revêt une importance majeure dans l'économie congolaise et la difficile équation politique du pays. Tout particulièrement en vue des élections qui se sont tenues fin décembre, le président s'est efforcé à contenir d'éventuelles poussées de fièvre au Katanga. Il a ainsi cherché à endiguer l'influence de son principal opposant, l'ancien gouverneur de la province Moïse Katumbi, tout en essayant de neutraliser les réseaux de son prédécesseur, Joseph Kabila. D'autant que les tensions entre Kasaïens (issus d'une province dont est issu le président) et Katangais demeurent particulièrement vives.

 

Son arrivée à la tête de la province, de même que ses affaires dans les mines, font toutefois grincer des dents au sein de la société civile locale. Dans un mémorandum daté d'août 2023, plusieurs organisations s'inquiètent d'un secteur artisanal "pris en otage par quelques puissants du régime, dont la famille présidentielle, l'UDPS et la famille de la gouverneure pour le cas du Lualaba". Ce rôle du clan Tshisekedi est régulièrement dénoncé sans qu'aucun document n'ait permis jusqu'à présent de l'étayer formellement. Il apparaît toutefois en filigrane dans de nombreux dossiers au Lualaba.

 

Profusion de marbre

 

Ainsi, selon plusieurs sources, Coco Muya ferait office de paravent pour les activités de Thierry Tshisekedi, le frère cadet du président. L'homme d'affaires s'en défend toutefois dans son échange téléphonique avec le patron de Kivu Metals Corp, lui intimant de "ne pas mêler la famille présidentielle" dans ce dossier. C'est pourtant ce que mentionne un rapport établi par ERG, lors d'une descente de l'auditorat général des FARDC à Kalukundi, l'un des sites appartenant à Swanmines.

 

Selon ce document, révélé par Africa Intelligence dans son édition du 28/07/23, les auditions réalisées sur place faisaient alors mention du rôle de Coco Muya comme coordinateur des creuseurs artisanaux, tandis que la supervision des activités reviendrait à Thierry Tshisekedi. Et ce, pour le bénéfice de "Maman Marthe", la mère du président, présentée comme la réelle bénéficiaire de l'exploitation artisanale.

 

L'intérêt de la famille présidentielle pour le Lualaba se mesure aussi aux fréquents allers-retours de ses membres dans le chef-lieu de la province. Il n'est pas rare ainsi de croiser Thierry et Christian Tshisekedi – autre frère du président – au Kolwezi Lodge ou à l'hôtel Moon Palace, deux établissements chics de la ville. L'un des fils du président, Anthony Tshisekedi, fait aussi régulièrement le déplacement à Kolwezi depuis Lubumbashi, où il a été nommé par son père au sein du conseil d'administration de la Sicomines – une joint-venture associant la Gécamines à des partenaires chinois.

 

Pour leur part, Félix Tshisekedi et son épouse voyagent assez rarement en dehors de Kinshasa, mais le couple a été séduit par leur nouveau palais présidentiel à Kolwezi – un projet qui remonte à la gouvernance de Richard Muyej, mais dont la construction a été finalisée par Fifi Masuka. La première dame aurait été particulièrement sensible à la profusion de marbre à l'intérieur de l'édifice, selon un visiteur du soir du couple.

 

Olivier Liffran

 

Source: Africa Intelligence.

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