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Jose Biden, Felix Tshisekedi, Amos Hochstein

RDC/ETATS-UNIS : Les Etats-Unis déchantés de ne pas avoir détourné la RD Congo de Pékin, Par Olivier Liffran

La visite était confidentielle, le sujet stratégique. Le diplomate américain Amos Hochstein est habitué à ce que ces déplacements ne figurent sur aucun agenda officiel. En mars, le principal conseiller du secrétaire d'Etat Antony Blinken pour les questions de sécurité énergétique débarque discrètement à Lubumbashi. La ville minière, qui ressemble à une ville rurale pittoresque, est l'un des endroits où le cobalt, le cuivre et une partie de l'avenir énergétique mondial sont échangés. Hochstein, dont on dit qu'il est proche du président Joe Biden, fait partie des personnes qui élaborent la nouvelle stratégie américaine sur le sujet.

Le diplomate a peut-être discuté avec des responsables congolais - notamment les cadres supérieurs de la société minière publique Gécamines -- de la lutte contre le travail des mineurs ou de la transparence fiscale. Mais il s'est surtout focalisé sur la délicate question de la renégociation des contrats scellés sous la présidence 2001-2019 de Joseph Kabila avec des groupes chinois privés et parapublics, ainsi qu'avec l'Etat.

 

Washington et Tshisekedi contre Pékin et Kabila

 

Certains de ces contrats intéressaient particulièrement Hochstein. Comme celle conclue en 2008 avec Sicomines, une joint-venture entre la Gécamines et un consortium de quatre mastodontes chinois, à savoir Sinohydro, China Railway Group, Zhejiang Huayou Cobalt Co et China Machinery Engineering Corp, pour exploiter des gisements de cobalt et de cuivre. Une autre est Tenke Fungurume, l'une des plus grandes mines de cobalt et de cuivre au monde, située à environ 200 km au nord de Lubumbashi. Le gisement a été acquis en 2016 par le groupe China Molybdenum Co (CMOC) auprès de la société minière américaine Freeport-McMoRan, alors en difficulté financière. L'accord valait 2,65 milliards de dollars.

 

En mai 2021, le président congolais Félix Tshisekedi a annoncé que ces contrats seraient renégociés, mais n'a fourni aucun détail sur la manière dont il envisageait de le faire. Dans les coulisses, cependant, il avait le soutien de l'administration de Donald Trump. Dès 2020, des consultants et experts payés par le Département duTrésor américain et le Département d'Etat ont été dépêchés à Kinshasa pour évaluer ces transactions et identifier les clauses défavorables à la RDC (AI, 25/06/21).

 

Washington, à cette époque, pesait de tout son poids derrière Tshisekedi. Il était heureux de negliger le fait que le nouveau président est arrivé au pouvoir début 2019 après une élection particulièrement controversée et un accord secret avec Kabila. Tshisekedi, comme candidat de l'Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), a incarné la première passation pacifique du pouvoir dans l'histoire du pays. Les États-Unis étaient à l'aise avec cela et voyaient en lui l'opportunité de réduire l'influence persistante de Kabila et de la Chine.

 

Les milliards de Tenke Fungurume Mining

 

En prenant le contrôle de Tenke Fungurume, la Chine a encore consolidé sa position de leader mondial incontesté de l'industrie des batteries électriques. C'était le grand dessein du gouvernement Xi Jinping. La RDC, qui produit plus de 60% du cobalt utilisé dans le monde, avait permis à Pékin de devenir le principal acteur de ce secteur stratégique.

 

Les Américains, trop conscients de l'enjeu, ont travaillé avec l'administration Tshisekedi pour évaluer les activités de CMOC et de sa filiale congolaise, Tenke Fungurume Mining (TFM), dont la Gécamines détient 20% du capital. Au sein de cette joint-venture créée en 2010, le groupe chinois est soupçonné d'avoir délibérément sous-estimé les réserves disponibles de la mine afin d'éviter de payer des redevances à son partenaire étatique congolais.

 

La Gécamines n'a reçu qu'environ 10 millions de dollars de redevances en 2020, selon le rapport annuel du CMOC. L'année suivante, l'annonce par le groupe chinois d'un investissement de 2,5 milliards de dollars dans la mine de Tenke pour doubler la production n'a fait que raviver les soupçons de sous-évaluation des réserves.

 

Pour éclaircir leurs doutes, les responsables congolais, assistés de consultants américains, ont usé d'une méthodologie aussi astucieuse que fastidieuse, passant au crible avec rigueur tous les documents fournis par la CMOC à la bourse de Shanghai. Leur analyse a révélé des divergences majeures avec les déclarations du groupe chinois à l'Etat congolais.

 

Confusion juridique

 

La présidence congolaise a alors créé en août 2021 une commission qui, selon les termes du décret, était chargée de « déterminer et évaluer les ressources minières prouvées et probables définies à ce jour par les travaux d'exploitation réalisés par TFM, afin de permettre à la Gécamines et, par extension, l'État congolais, son unique actionnaire, de revenir équitablement dans ses droits ».

 

Le directeur de cabinet du président, Guylain Nyembo, préside cette commission. Son membre le plus stratégique est Léon Mwine Kabiena, nommé directeur général adjoint de la Gécamines en décembre de la même année. De la dizaine de personnalités de la commission, il est celui qui connaît le mieux le dossier TFM. Cette connaissance approfondie lui vient de son expérience chez JDE Group, sous-traitant congolais de la filiale chinoise spécialisée dans la géologie et la construction.

 

La CMOC a plus que doublé le montant des redevances versées à la Gécamines, avec 24 millions de dollars reversés en 2021. L'administration congolaise a de nouveau jugé cette somme dérisoire, mais s'est bien gardée de dévoiler le montant qu'elle attendait réellement. Selon CMOC, la réévaluation des réserves du site dépend encore des résultats d'une étude de faisabilité.

 

A ce jour, aucun accord n'a été trouvé entre les deux parties, malgré l'implication personnelle de Zhu Jing, l'ambassadeur de Chine à Kinshasa. Un tribunal congolais a nommé en février un administrateur pour gérer la mine, mais cela a conduit à un imbroglio juridique, CMOC refusant d'accepter l'autorité de l'administrateur sur le site.

 

Spectre de la corruption

 

Les difficultés de la Chine à TFM n'ont pas conduit à un rééquilibrage des pouvoirs en faveur des Etats-Unis, dont les groupes miniers brillent toujours par leur absence en RDC. Les investisseurs américains restent prudents en raison de la situation sécuritaire instable dans le pays et de la persistance de la corruption au plus haut niveau de l'État.

 

Depuis la prise de fonction de Tshisekedi, les diplomates américains travaillent au renforcement des capacités dans la « lutte contre la corruption » en RDC, dont les résultats sont jusqu'ici jugés décevants. L'inspection des finances de l'IGF, dirigée par Jules Alingete, est placée sous l'autorité directe du président. Elle n'a jamais rendu public son rapport sur son enquête Gécamines.

 

Les Américains ont également soutenu la création de l'agence anti-corruption APLC début 2020 et ont proposé à ses agents des formations du Trésor américain et du FBI. Mais deux ans et demi après sa création, l'APLC, dirigée par Thierry Mbulamoko, est une coquille vide. Ses investigations au Lualaba ont été étouffées. Il en a été de même de son enquête sur le non-respect par les opérateurs miniers de leur obligation légale de rapatrier 60% de leurs revenus d'expropriation. Cette affaire, dans les tuyaux depuis plusieurs mois, n'a pas été transmise au parquet pour l'ouverture d'une information judiciaire

 

L'échec du gouvernement congolais dans la lutte contre la corruption n'est pas sans conséquences. En février 2020, General Electric (GE) a officialisé un protocole d'accord soit un investissement de 1,8 Md$ dans les secteurs de l'électricité et de la santé. L'accord potentiel a été annoncé en grande pompe mais a rapidement été considéré comme nul et non avenu. La société basée à Boston a été effrayée par les demandes des responsables congolais qui ont été perçues comme des tentatives de corruption.

 

Limites de la stratégie américaine

 

La stratégie américaine en RD Congo est devenue une source d'irritation, et le gouvernement n'a pas caché sa déception face au « partenariat stratégique » avec Washington, censé se traduire par des investissements massifs. Les différents conseillers de Tshisekedi -- notamment son conseiller spécial pour l'investissement, Jean-Claude Kabongo -- se sont tournés vers d'autres partenaires, comme la Turquie, les Émirats arabes unis et l'Égypte, pour signer des protocoles d'accord.

 

Il y a eu beaucoup de promesses d'investissements, mais peu de résultats concrets. Alors que les élections présidentielles doivent se tenir l'année prochaine, les réalisations de Tshisekedi au cours de son premier mandat sont jugées médiocres, notamment en termes d'infrastructures et d'amélioration du climat des affaires. Outre le report désormais apparemment inévitable des élections, on craint que les diplomates américains ne s'immiscent encore plus dans le processus politique.

 

Kinshasa s'inquiète également de l'arrivée prochaine de la nouvelle ambassadrice américaine Lucy Tamlyn -- dont la nomination reste conditionnée à l'approbation du Sénat -- pour remplacer Mike Hammer, en poste depuis 2018. Hammer avait tellement travaillé au rapprochement de Washington avec Kinshasa qu'il était presque devenu un conseiller secret du chef de l'État.

 

Washington se rend compte que sa stratégie en RDC a atteint ses limites. Tshisekedi n'a pas réussi à lutter contre la corruption, qui s'est propagée à son entourage, et à renégocier les contrats miniers avec Pékin. Sur le dossier sensible de l'homme d'affaires israélien Dan Gertler, visé par des sanctions américaines, le président a opté pour des négociations secrètes. Cela a mis certains de ses conseillers dans le viseur de l'administration américaine, qui n'exclut pas des sanctions à leur encontre.

 

Vers Pékin et Moscou

 

La diplomatie énergétique de Hochstein n'a pas non plus été en mesure d'inverser la tendance face à Pékin. Au cobalt qui reste sous contrôle chinois, s'ajoutent les promesses d'infrastructures à livrer d'ici la présidentielle.

 

En juillet, Xu Jinghu, représentant spécial du gouvernement chinois pour les affaires africaines, s'est rendu dans la capitale congolaise pour rencontrer plusieurs personnalités, dont le Premier ministre Sama Lukonde Kyenge et le vice-Premier ministre chargé des affaires étrangères Christophe Lutundula.

 

La Chine revient peu à peu dans les faveurs du gouvernement congolais, qui se tourne vers les rivaux de Washington. En matière économique et sécuritaire, le gouvernement Tshisekedi cherche à renforcer la coopération avec la Russie (AI, 05/07/22).

 

source: https://www.africaintelligence.com/central-africa/2022/09/05/us-disillu…

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