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L'empire du silence

« L’empire du silence » : un film coup de poing contre l’impunité en RDC

Un film peut-il mettre fin à l’impunité qui règne en République démocratique du Congo depuis la fin des années 1990 ? A lui seul peut-être pas, mais il peut fortement y contribuer. C’est l’espoir du cinéaste Thierry Michel, dont le documentaire « L’Empire du silence » raconte par le menu les guerres, les massacres à l’infini et les violences qu’ont subies les Congolais depuis 25 ans, dans l’indifférence quasi-générale. Ce long voyage à travers « sept provinces martyres » congolaises n’est pas de tout repos. Dans ce documentaire émaillé de nombreux témoignages éprouvants, Thierry Michel a tout d’abord voulu coucher sur la pellicule les paroles des victimes, souvent oubliés de ces deux décennies de conflit. Mais il a surtout décidé de rompre le silence sur des crimes dont chacun connaît aujourd’hui le nom des exécutants et des commanditaires, et qui restent toujours impunis. Le film, clair et pédagogique, n’épargne aucun des acteurs des guerres congolaises : mouvements rebelles, dont une centaine pullulent encore à l’Est du pays, armées congolaises, étrangères et politiques de tous bords.

Lemera, « le début de l’impunité »

Le combat du cinéaste belge relaye celui du personnage principal du film, le prix Nobel de la Paix, Denis Mukwege. Témoin de toutes les guerres du Congo, le médecin gynécologue « qui répare les femmes » victimes de viols, raconte l’attaque de l’hôpital de Lemera, en 1996, par les troupes de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila, soutenus par le Rwanda. « Le début de l’impunité, c’est ici ! » tonne le docteur. Puis, c’est le bombardement des camps de réfugiés hutu à Bukavu. A l’époque, le Rwanda de Kagame sort à peine du génocide, qui a fait un million de morts. Des centaines de milliers de réfugiés fuient le Rwanda, avec parmi eux, des miliciens interhamwe, ceux-là mêmes qui ont commis le génocide. Les miliciens contrôlent les camps de réfugiés au Zaïre et sont bien décidés à revenir prendre le pouvoir par les armes à Kigali. Dans le documentaire, Thierry Michel, montre les appels de Kagame et Museweni qui exhortent la communauté internationale de s’occuper des génocidaires réfugiés au Zaïre. Une requête restée lettre morte et qui poussera les deux voisins à s’occuper eux-même de la solution.

Plus de 8.000 personnes tuées à Mbandaka

Une traque impitoyable aux réfugiés hutu commence à travers la forêt congolaise. Des témoins racontent les marées humaines, en pleine brousse, sans eau, sans nourriture, sans toilette. Certains mouraient de faim à défaut de manger les feuilles des arbres. A Tingi-Tingi, 200.000 réfugiés errent le long de la voie ferrée. Les images d’archives retrouvées par Thierry Michel sont glaçantes. Les cadavres sont déchargés des wagons. Une séquence que l’on croit sortie des archives de la seconde guerre mondiale. On y découvre également Emma Bonino, la commissaire européenne pour l’aide humanitaire, en larmes devant des enfants qui lui racontent leur détresse. L’effroyable voyage se poursuit à Mbandaka, à l’Ouest du Congo, où les réfugiés arrivent par milliers après… 700 km de marche à travers la forêt ! Un témoin raconte l’élimination de plus de 8.000 personnes par balles ou par noyade. Sur le fleuve Congo, les pêcheurs ne peuvent plus travailler à cause des cadavres qui se décomposent dans l’eau. Des enquêteurs de l’ONU demandent à se rendre à Mbandaka. Mais Kinshasa refuse et donne l’ordre d’effacer les traces des massacres. C’est à cette époque que Laurent-Désiré Kabila, le rebelle devenu président, s’affranchit de son encombrant allié rwandais. Le poste de ministre de la Défense congolais était alors occupé par James Kabarebe, un officier rwandais proche de Paul Kagame. Avec le départ des Rwandais, sonne le début de la deuxième guerre du Congo.

6.000 bombes pleuvent sur Kisangani

Un chef rebelle congolais s’illustre particulièrement : Gabriel Amisi. Il est aujourd’hui inspecteur général et numéro deux de l’armée congolaise. Et les massacres continuent. Un prêtre de la paroisse de Kasika accuse : « Il faut tuer 1.000 personnes pour devenir général au Congo ! » La guerre s’internationalise. Les ex-alliés rwandais et ougandais s’affrontent entre eux en Ituri. 6.000 bombes pleuvent en 2000 sur Kisangani, pendant ce que l’on appelle « la guerre des six jours ». L’occasion pour Thierry Michel de dénoncer l’un des moteurs des guerres congolaises : l’extrême richesse minière du pays. A Kisangani, les belligérants possédaient leurs propres comptoirs de diamants. « Si la guerre dure, c’est que les rebelles et les militaires vivent de ces richesses » se désole le docteur Mukwege. En 2001, Laurent-Désiré Kabila meurt assassiné. Le fils, Joseph, s’assoie dans le fauteuil du père. Et les massacres perdurent.

Le Rapport Mapping enfermé dans les tiroirs de l’ONU

En Ituri, les soldats du MLC de Jean-Pierre Bemba commettent de nombreuses exactions. Massacres, pillages, viols… Il faut dire que les miliciens de Bemba ne sont pas payés. L’ONU enquête, mais Jean-Pierre Bemba ne sera pas jugé grâce les accords de paix de 2002. L’homme d’affaires et ancien rebelle devient même vice-président de la République démocratique du Congo… en toute impunité. Un rapport de l’ONU fuite tout de même dans la presse, grâce au journal Le Monde. Le fameux Rapport Mapping documente 617 « incidents », des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et de possibles crimes de génocide commis entre 1993 et 2003 au Congo. Mais la liste des auteurs présumés reste confidentiel et enfermé dans un tiroir de l’ONU depuis 11 ans. Il y a bien eu quelques procès en RDC, mais ils sont rares… une douzaine. Certains se transforment en théâtre grotesque, comme celui du milicien Katangais Gédéon Kyungu, condamné à mort, mais jamais incarcéré. Il s’évade de sa résidence surveillée et se rend après avoir prêté allégeance au président Joseph Kabila… qu’il soutiendra aux élections.

Au-delà du Rapport Mapping

La grande qualité du documentaire de Thierry Michel est qu’il ne défend aucune thèse, notamment à propos du Rapport Mapping, que le Rwanda rejette en bloc. Le cinéaste rappelle les faits, présente des témoignages et demande simplement à la justice de faire son travail. Mais le film ne s’arrête pas en 2003 avec la fin du Rapport Mapping, et c’est son autre qualité. Il relate des violences plus récentes comme la répression sauvage dans les Kasaï entre 2016-2017. Le pouvoir de Joseph Kabila réprime férocement la révolte Kamwina Nsapu, et le film documente de manière inédite la spirale de violence qui s’est emparée des Kasaï, faisant entre 5.000 et 10.000 morts selon l’Eglise catholique. Deux experts de l’ONU sont également lâchement assassinés pendant cette crise. Là encore, l’impunité totale règne. Et comme le dit un témoin : « Il n’y aura jamais assez de prisons au Congo pour tous ces salopards ! »

Kinshasa embarrassée ?

« L’Empire du silence » est un film pour l’histoire, avec des images inédites et un éclairage très pédagogique sur 25 ans de chaos congolais. Mais il s’agit surtout de mobiliser les consciences pour que les crimes ne restent pas impunis. Thierry Michel espère qu’à la suite de son film, les autorités congolaises se rendront compte de la nécessité de sécuriser les lieux d’inhumation et de préserver les preuves. Le documentaire a été présenté ce mardi en avant-première à Bruxelles devant plus de 700 personnes. Le docteur Denis Mukwege était absent, après son hospitalisation la veille à Bruxelles. Ironie du sort, Thierry Michel a appris la semaine dernière que son visa pour la RDC avait été refusé pour l’ambassade (*). Le cinéaste projetait de se rendre à Kinshasa pour préparer la sortie de son film, prévue en février 2022 au Congo. Ce film embarrasse-t-il les autorités congolaises ? Thierry Michel ne veut pas y croire. « On m’a refusé le visa alors que personne n’avait encore vu le film ». C’est pourtant une étrange impression de déja-vu pour le réalisateur. Son visa avait été refusé sous Mobutu et Kabila. Il avait même été expulsé. En attendant que la situation se débloque, « L’Empire du silence » sera projeté le 4 novembre en première africaine aux Journées Cinématographiques de Carthage. Il sortira en salle en Belgique le 19 janvier 2022 et en France le 16 mars.

Christophe Rigaud – Afrikarabia

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