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Les forces de maintien de la paix des Nations Unies patrouillent le long du "triangle de la mort", une zone de l'est du Congo où les ADF sont les plus actives. par Ben Anderson pour VICE News.

RDC - BENI « ILS ONT TUE DES GENS JUSQU'A CE QU'ILS SE SONT FATIGUES 1/2 » Par Ben Anderson

BENI, République Démocratique du Congo - Assis dans un minuscule bureau en béton dans l’est du Congo, Jean Baptiste Kavunga a ouvert son ordinateur portable et feuilleté un diaporama de corps mutilés. "J'ai pris cette vidéo en pleurant", a-t-il dit en me montrant une photo de cadavres calcinés, "ils ont incendié cette maison avec les civils à l'intérieur".

Il parcourut des images d'adultes avec la tête ouverte. «Ils pouvaient tuer des gens avec une machette… ou ils pouvaient les trancher la gorge.» Une photo montre au moins neuf enfants au premier plan, non ensanglantés comme les adultes mais clairement sans vie. Ils avaient été massacrés à mort.

La pluie se déversait si fort sur le toit de tôle ondulée au-dessus de nos têtes que nous pouvions à peine nous entendre, et un mince rideau blanc a claqué dans le vent. C'était la seule chose protégeant Jean Baptiste et son directeur, Jean Paul Ngahangondi. Les groupes dont ils traquent la violence ne réfléchiraient pas deux fois avant de les tuer.

Jean Paul et Jean Baptiste sont tous les deux, le personnel de la Convention pour le respect des droits de l'homme (CRDH). Avec quelques volontaires, ils opèrent dans le Nord-Kivu, dans l’est du Congo, à la limite d’une zone connue sous le nom de «triangle de la mort».

En cas de massacre, Jean Baptiste emprunte une moto et se rend sur le lieu, enregistrant autant de preuves que possible. C’est un effort héroïque, non seulement parce qu’ils sont si vulnérables, mais parce qu’il semble que peu importe les preuves, personne n’écoute.

Dernièrement, le travail de ce pair, s’est concentré sur les Forces démocratiques alliées (ADF), l’un des groupes terroristes les moins connus mais les plus virulents de la région.

Un soldat congolais des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) blessé,  se repose dans la forêt après que l'armée ait pris le contrôle d'un camp rebelle des ADF, près de la ville de Kimbau, province du Nord-Kivu, République démocratique du Congo, 19 février 2018 REUTERS / Goran Tomasevic

Bien que leur nombre exact soit inconnu, les observateurs estiment que l’ADF compte actuellement entre 1 000 et 2 000 membres, forme des centaines d’enfants et a établi un grand bastion qui a attiré des recrues de toute l’Afrique de l’Est - Ouganda, Tanzanie, Kenya, Rwanda et Burundi.  Plus récemment, il est prouvé qu'ils ont également attiré des recrues d’aussi loin, comme le Mozambique, l'Afrique du Sud et même le Royaume-Uni. Si cela continue, le fief de l'ADF dans l'est du Congo pourrait devenir aussi dangereux que des espaces non gouvernés en Libye, en Irak, en Syrie et au Mali et l'Afghanistan, si ce n'est pas déjà le cas.

«Ils se rendent dans les villages et en profitent», m'a dit Russ Feingold, l’ancien envoyé spécial d’Obama pour la région des Grands Lacs et la République démocratique, en juillet dernier. «Personne ne les arrête vraiment. C’est exactement ce que sont les parties de l’Est du Congo, et cela peut devenir un foyer fortifié de gens qui veulent nous faire du mal si nous ne faisons pas attention. »

C'est dans ce chaos que les ADF ont prospéré, tuant des centaines de civils, nettoyant des villes entières et s'enfuyant dans la brousse sans aucune dommage. Ces dernières années, ils sont devenus l’une des organisations terroristes les plus organisées et les plus puissantes de la région.

>>>>>> https://news.vice.com/en_us/article/7xq45a/a-slaughter-in-silence-democ…">A Lire: Un massacre en silence. Comment une campagne de nettoyage ethnique brutal en RDC a été aggravée par les politiques "America First" de Trump et la négligence du monde. 

Le groupe formé en 1991 en Ouganda a finalement adopté l'objectif de renverser le gouvernement de Yoweri Museveni et de le remplacer par un État islamique. Au début des années 90, l’armée ougandaise les avait forcés à entrer dans l’est du Congo, où ils vivaient en harmonie avec la population locale depuis près de deux décennies.

Mais cela a commencé à changer à partir de 2013, le groupe attirant de plus en plus d'adeptes de recoins de plus en plus lointain. Ils sont de plus en plus connus pour avoir enlevé des civils, y compris des filles qui ont été forcées d'épouser des combattants et des enfants qui ont été forcés de devenir des soldats. Viennent ensuite les attaques meurtrières contre les écoles, les hôpitaux et les villages. Le mois dernier, le groupe a lancé une série d’attaques contre les forces de sécurité congolaises et de Nations Unies, entravant les mesures d’urgence du pays contre l’Ebola.

Jamil Mukulu (C) est escorté par les gardiens de prison tanzaniens au tribunal de première instance de Kisutu à Dar es-Salaam, le 22 mai 2015. Mukulu, chef de l'ADF, avait été arrêté en 2015.

Leur leader, Jamil Mukulu, avait été arrêté en 2015 et certains anciens membres avaient déclaré que cela marquait le début de la chute du groupe de l’idéologie de principe, bien que violente, au simple massacre criminel. Leur objectif déclaré est toujours de créer un Etat islamique en RDC et ils ont réussi à survivre à plusieurs opérations de l'armée congolaise et ougandaise contre eux.

Grâce au CRDH et à la Fondation Bridgeway, j'ai pu interviewer d'anciens membres, des personnes enlevées et des victimes à Beni et à Kampala afin de mieux comprendre la méthodologie d'ADF et ses ambitions pour la région. Mon film intitulé «Terror in Congo» [était] diffusé ce vendredi 7 septembre sur HBO, de 19h30 et à 23h. Mais les témoignages des victimes et des anciens membres de l’ADF étaient si extraordinaires que je voulais les partager plus en détail.

 

Ce qui suit est un récit inquiétant de ce qu’était l’ADF, de ce qu’il est devenu et de la manière dont il se démarque dans une région devenue synonyme de cruauté inimaginable. À travers leurs témoignages, ces récits ont mis en lumière l’un des groupes terroristes les moins connus mais les plus violents d’Afrique. Chaque personne interrogée a accepté de ne parler que sous condition d'anonymat par crainte de répercussions. Les entretiens ont été édités pour des raisons de concision.

L'esclave sexuelle et l'enfant soldat

J'avais 5 ans quand ils m'ont capturé. J'étais très jeune. Presque aussitôt ils ont commencé à m'enseigner l'arabe. Je suis devenu soldat. Et j'étais « bibi yabo » (leur femme), alors j'étais aussi une esclave sexuelle. Ils m'ont fait leur femme. J'ai été forcé de commencer à me battre à l'âge de 10 ans et quand j'avais 11 ans ils m’ont donné un mari.

Ils m'ont emmené quand j'étais à la ferme. Je portais un enfant que je gardais sur le terrain. Ils ont tué l'enfant.

Nous avons continué à avancer jusqu'à ce que nous ayons atteint la brousse. Ils m'ont dit qu'ils allaient me tuer. Mon grand frère a dit de le tuer à la place, de me laisser tranquille. Alors ils m'ont laissé seul. Nous avons continué avec eux jusqu'à leur camp. Ils ont répété les menaces de mort. Mama Mugandweze leur a dit de la tuer à la place. Ils nous ont violés et nous ont dit que si nous essayions de nous échapper, ils nous trouveraient et nous tueraient.

«Nous étions nombreux, beaucoup d’enfants. Il aurait pu y avoir 200 enfants. Il y avait environ six lignes de défense et dans chaque cas il y avait des enfants ».

Ils ont décidé de mettre les Congolais en prison et j'ai commencé à comprendre que, oh mon Dieu, j'allais y mourir. Nous avons vraiment souffert. Ils nous ont donné du manioc cru. Ils nous ont fait cuire du riz pendant deux semaines, mais ils n’ont pas allumé de feu, alors nous avions juste mangé le peu de nourriture que nous avions. Il n'y avait pas de paix, pas de solidarité.

Ils nous ont obligés à ne pas battre retraite, à lutter durement et à ne jamais reculer. Vous allez simplement avancer et prier Dieu de veiller sur vous.

Ils nous diraient d'aller créer de troubles. Ils nous donneraient un certain nombre de balles. Nous allions tuer un grand nombre de civils qui étaient des alliés de l’armée et leur retirer de l’argent.

Vous n'êtes pas en paix, vous vous sentez juste mal. Il n'y a pas de passé ou de présent à méditer, vous ne pouvez même pas dire que vous avez peur. Vous n'avez simplement pas le choix. Aucun endroit pour fuir, vous faites juste ce qu'ils vous demandent de faire.

Nous étions nombreux, beaucoup d’enfants. Il aurait pu y avoir 200 enfants. Il y avait environ six lignes de défense et dans chaque cas il y avait des enfants.


Un jeune garçon attend à l’extérieur de l’école qui sa deuxième  résidence. Lui et sa famille ont fui leur village après les attaques de l'ADF. Ils sont autorisés à dormir à l'école, mais doivent sortir tous les jours entre 7 et 19 heures pendant que les enfants locaux reçoivent une éducation. Des images de VICE sur HBO.

Mon mari n'avait jamais rien fait de gentil avec moi. C'était toujours difficile. Il me battait et si je lui disais que j'étais malade, il dirait à son patron que je mentais. Chaque jour ils me battaient.

Il n'y avait pas d'amour. C'était comme de la violence. J'avais 11 ans quand il a commencé à avoir des relations sexuelles violentes avec moi et c'était comme s'il aimait faire l'amour avec moi.

Je suis tombée enceinte de lui et j'ai donné naissance à trois enfants. On est toujours là dans la brousse. Les deux autres sont avec moi. J'ai eu ma première grossesse à l'âge de 15 ans. Mon premier enfant est toujours avec l'ADF. Je ne sais pas s'il est mort ou vivant. Je sais que les enfants se battaient beaucoup et j'ai entendu dire qu'ils ont tué de nombreux enfants soldats un jour, il se pourrait donc qu'il soit déjà mort.

J'ai donc essayé de m'échapper mais j'ai échoué. J'ai encore essayé et j'ai échoué, alors ils m'ont retenu et m'ont jeté en prison. Quand je me suis échappé, j'ai passé 5 jours dans la brousse. J'étais seul dans la brousse. J'avais vraiment peur. Au bout de six jours, je me suis rendu dans les fermes de Basivile et j'ai rencontré Mangali qui me cherchait. Ils étaient heureux de me voir. J'ai vu un autre soldat qui s'était également échappé. Ils m'ont dit de me cacher; «S'ils te trouvent, ils vont te tuer.» Alors je me suis caché.

J'ai rencontré Motare à Kokola. Je lui ai demandé d'aider à me porter. J'ai pleuré pour que Motare m'aide. Je ne savais pas où j'étais. Je ne savais pas si j'étais à la maison ou non. Motare a dit: "laisse-moi laver ton sang." Après cela, nous sommes allés à la police. Ils m'ont emmené aux officiers et ils m'ont torturé et battu.

En ce moment, je vis ici et j'ai beaucoup de mal. Je ne sais pas où aller. Depuis mon départ, j'ai découvert que mes deux parents étaient décédés. Ils ne savaient pas si j'étais en vie. Ils savaient juste que j'étais pris par l'ADF et ont supposé que j'étais mort.

La population a toujours peur de l'ADF. Ils viennent n'importe quand et tuent la population.

J'avais quitté l'ADF en 2014. J'avais 20 ans. J'ai passé 15 ans à travailler avec eux.

(A SUIVRE)

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